« Tu perçois quoi au juste ? ». Mes difficultés auditives sont invisibles, souvent un peu déconcertantes pour mes interlocuteurs, voire complètement énigmatiques. L’implant cochléaire sur mon oreille droite et un appareil auditif de l’autre côté facilitent grandement mon quotidien mais leur résultat est loin d’égaler les fascinantes performances d’oreilles fonctionnelles. Je perçois du son, je peux communiquer verbalement, écouter de la musique (même si ça ne m’arrive pas souvent) et même téléphoner (si, si !). Pourtant, les effets d’une surdité sont nombreux dans mon quotidien. Petit extrait sous forme d’une loOongue liste de ce qui diffère quand l’audition plie bagage !
Dans les attitudes de communication
- Je ne réagis pas toujours quand on m’interpelle. Ça peut donner l’impression que je snobe les gens alors que je n’ai seulement pas saisi qu’on s’adressait à moi.
- Je demande régulièrement de répéter. Par contre, si je peux tout à fait rire du sujet, la blague du « hein ? » quand j’évoque ma surdité (souvent assortie d’une expression ahurie) est une entrée en matière peu engageante.
- Je fixe souvent la bouche de mes interlocuteurs. Rien à voir avec une envie d’embrasser. Lire sur les lèvres m’aide à comprendre.
- Dès qu’il y a du bruit, distinguer les propos de quelqu’un devient très compliqué. Je peux y arriver sur une durée brève et au prix d’une extrême concentration… l’effort est d’ailleurs visible sur mon expression (rides entre les yeux, sourcils légèrement froncés) et la posture (orientée vers mon interlocuteur, pas particulièrement détendue ni recommandée pour le dos).
- J’utilise un microphone pour focaliser les voix quand il y a du monde et/ou du bruit. Je n’entends alors plus les bruits environnants, seulement la voix de la personne qui s’exprime dans ce petit micro.
- Je compte sur mon amoureux, quelques amis et collègues pour faire les rappels nécessaires pour que tout le monde parle dans ce micro. Oui, ils sont merveilleux (<3).
- Quand j’arrive dans un endroit bruyant, il me faut le temps de me connecter ou de faire les réglages requis et je dois le préciser à mes interlocuteurs : « atteeennnds une minute… Je me connecte ! ».
- Je ne perçois pas ma propre voix quand je ne porte pas mon implant et cela la modifie légèrement si je parle.
Les petits inconvénients
- Je dois (très) régulièrement recharger les batteries de mes accessoires et de mon implant : je suis donc à l’affût des prises de courant et me balade souvent avec une multiprise en déplacement. Toute ma perception sonore repose sur des technologies alimentées électriquement. La gestion (rigoureuse) des piles, batteries et chargeurs de tout format fait partie de mon quotidien.
- Quand je m’éloigne trop de mon téléphone alors que j’écoute la radio en bluetooth, les voix perçues dans l’implant se déforment et se robotisent.
- Au cinéma, je ne vais voir que des films sous-titrés. J’ai d’ailleurs une petite décennie de retard sur le cinéma français. Les séances en VFSTFR ne sont programmés que le matin à Rennes… Pas toujours pratique comme horaire !
- À l’aéroport, il m’est déconseillé de passer sous le portique de sécurité. Une carte internationale me permet de signaler mon implant cochléaire lors du contrôle des bagages. Il faut donc prévoir une marge pour les vérifications supplémentaires qui s’appliquent alors.
- La nuit je range implant et appareil auditif et n’entends plus l’ombre d’un son. C’est un réveil vibrant (ou le chéri entendant) qui m’avertit le matin qu’il est l’heure de m’extraire de ma couette.
- Après un shampoing, je dois me sécher les cheveux avant de remettre mon implant. Cette petite bête craint l’humidité. Idem pour le passage chez le coiffeur : tous les échanges sur mes desiderata capillaires se font avant d’enlever l’appareil et l’implant.
Les petits avantages
- Dans le train, s’il y a du bruit, j’enlève l’implant et travaille dans ma petite bulle de silence.
- Aucune nuisance sonore nocturne ne peut perturber mon sommeil de marmotte.
- Quand je me baigne dans la mer, j’observe l’agitation sans le son. Une sensation assez planante.
Quand la discrétion n’est pas de mise
- Difficile pour moi de jauger le volume de ma propre voix. Par mesure de prudence, j’ai plutôt tendance à parler à voix assez basse. En situation de connectivité, je peux ne pas m’apercevoir des variations du bruit qui m’entoure et continuer à parler fort alors que le volume autour de moi s’est atténué. Oups…
- Quand je visite une exposition, il y a parfois des casques audio. Objet assez inutile dans mon cas : au mieux le son perçu n’est pas terrible, au pire non seulement je n’entends pas grand chose mais le contact du casque contre mon oreille crée un petit effet de larsen dans l’appareil auditif – sifflement dont je fais profiter au passage les personnes situées à proximité (regards orientés vers moi, expressions grimaçantes). Héhé, coucou, ça vient d’ici le bruit… Arf !
- Quand j’écoute du son sur mon téléphone ou mon ordinateur avec du matériel de connectivité – boucle magnétique ou « mini-mic » – il m’est assez difficile dans un environnement silencieux de faire la différence entre du son qui sortirait en mode casque ou diffusé en direct, dérangeant tout le monde… je vérifie toujours scrupuleusement les branchements et les réactions alentours.
Les moments où ça agaaace (et ça peut même rendre grognon)
- Paradoxalement, les bruits me gênent et me fatiguent davantage que quand j’entendais.
- La musique en fond me dérange, au restaurant, dans les soirées. Je la perçois comme un simple bruit qui empêche les conversations.
- Le vent qui chatouille les micros situés derrière mes oreilles m’empêche de comprendre et peut vite générer des maux de tête. Bonnet, capuche ou bandeau peuvent atténuer un peu cet effet.
Les moments où je flippe toute seule
- Sur un bateau, un canoë ou toute embarcation entourée d’eau, je suis inquiète à l’idée qu’appareils et implants ne soient éclaboussés ou immergés… ça m’obnubile un peu trop pour profiter de ces moments.
- Dans la foule de transports en communs bondés ou d’un concert, je crains d’être bousculée et que mon implant finisse sur le sol piétiné. Le pogo n’est plus une option.
Quand je rate quelques infos au passage
- Régulièrement, je rate des mots sans pour autant interrompre la conversation, en retenant l’hypothèse la plus probable. Élémentaire, mon cher Watson… Un manque d’intérêt vis-à-vis de ce que disent mes interlocuteurs ? Je dirais que dans des situations pratiques de la vie quotidienne, la déduction est plutôt utile. En revanche, lors de discussions de fond, je m’assure de créer les conditions qui permettent de tout entendre.
- Cet exercice n’ayant rien d’une science exacte, il n’est pas si rare que je me trompe… (non, vous n’êtes pas si prévisibles !)
- Je ne comprends jamais le prix annoncé oralement dans un commerce. S’il n’est pas affiché, je donne un montant nettement supérieur à ce qui semble probable et compte sur mon interlocuteur pour me rendre le bon montant.
- Les noms propres, les chiffres, les adresses e-mail dictées sont mes bêtes noires. Dès que possible, je me fais confirmer les informations par écrit.
- Je perds le fil au guichet, dans le brouhaha quand il n’y a pas de boucle magnétique et que mon interlocuteur se tourne ou baisse la tête pour chercher un document tout en continuant à parler.
- Je comprends rarement la signification des annonces sonores dans les transports (parfois dans le train, jamais dans le métro ou dans un hall de gare). En cas d’imprévu non communiqué par écrit, le risque de petites galères est accru.
- Une liste de bières énoncées oralement à la terrasse d’un café ? J’en comprends peut-être une sur trois. J’écoute donc d’une oreille tout en scrutant le bar pour essayer d’apercevoir les étiquettes sur les tireuses.
- Lors d’escape games avec des amis, qu’il faut aller vite, difficile de prendre pas le temps (dont j’ai besoin) de se parler en face, l’un après l’autre, à vitesse raisonnable. Testé deux fois et désapprouvé !
Tous ces petits compromis sont bien ancrés dans mon quotidien. J’en discute parfois avec des personnes qui, comme moi, entendent mal. Nos anecdotes se ressemblent. Vous êtes concerné.es pour vous ou un proche ? Vous pouvez prolonger la liste en commentaire de cet article, juste ici (clin d’oeil pour indiquer que je compte sur vous et pour le plaisir de terminer un article par cette ponctuation-invitation) :
Hello,
je trouve super que tu partages cet handicap, il est parfois difficile d’en parler et d’accepter l handicap. Et en plus, il est invisible donc les gens ne nous prennent pas forcement au sérieux. Moi-même, je souffre d’une surdité moyenne à chaque oreille et je porte des appareils auditifs qui ont aussi leurs avantages et leurs inconvénients.
Mes meilleures salutations
Guillaume
Le blog ne continue pas ?
Elisabeth, Keditu
Le temps file mais j’ai plein d’idées d’articles et compte bien m’y remettre 🙂
À très vite Elisabeth !
Bonjour Solene
Je viens de découvrir ton blog en cherchant des témoignages de personnes implantées.
Quel bonheur de te lire et de retrouver les mêmes difficultés dans le quotidien.
J’aurais voulu échanger avec toi si cela est possible.
Emmanuelle
Bonjour Emmanuelle,
avec plaisir pour échanger 🙂
Tu peux me contacter à l’adresse contact@autreoreille.com
Bonne fin de journée,
Solène